Quelques enseignements du tracking ce week-end : Liaisons merveilleuses

27 mai 2024

Ispahan 24 Mqse de Sevigne

Photo Mqse de Sevigné : scoopdyga.com

 

Le parcours des 1 400 mètres de la Nouvelle Piste est souvent considéré comme atypique, d’où le surnom de « toboggan » dont a hérité cette portion du parcours pourtant pratiquement plate.

Ce qui, finalement, est le plus caractéristique de la Nouvelle Piste, c’est qu’elle est presque exclusivement utilisée pour un parcours, celui des 1 400 mètres avec arrivée au 2e poteau.

Or les chronos de la dernière édition du Prix du Palais-Royal (Gr3), qui emprunte ce parcours, mettent cette particularité à l’index. En effet, tous les concurrents de cette épreuve ont fait enregistrer leur section la plus rapide des 600 aux 400 mètres, soit le « T4 » (pour 4e tronçon). Or c’est généralement à l’avant-dernier tronçon, des 400 aux 200 mètres, que les chevaux atteignent leur vitesse maximale.

En parcourant les précédentes éditions du « Palais-Royal », on observe le même phénomène. Sur d’autres relevés du parcours, ce n’est pas systématique, mais c’est fréquent, alors que cela n’existe pratiquement pas sur les parcours avec arrivée au 1er poteau.

Conclusion : les jockeys, même s’ils sont dans leur immense majorité conscients des pièges d’une arrivée au 2nd poteau, n’arrivent pas à se défaire de leurs habitudes, « enclenchent » comme si l’arrivée était au 1er poteau, et les chevaux font le reste.

Chassez le naturel…

Mqse de Sevigné rivalise avec Skaletti

Autre observation : aucun des concurrents de l’édition 2024 du Prix du Palais-Royal n’a parcouru 200 mètres en moins de 11’’. Ce n’est pas parce que le terrain s’était alourdi, mais parce que, probablement, on va plus vite plus tôt. Il est toujours hasardeux de comparer un Gr1 sur 1 850 mètres et un Groupe 3 sur 1 400 mètres, mais voilà ce qu’on peut relever ici entre les relevés de Mqse de Sevigné, lauréate du Prix d’Ispahan (Gr1), et ceux d’Exxtra, gagnante du « Palais-Royal ».

La première a bouclé son dernier kilomètre en 1’’ de plus que la seconde. En revanche, les 600 derniers mètres de la championne d’Édouard de Rothschild sont… Une seconde meilleurs que ceux de la pouliche d’Anja Wilde. Autrement dit, plus on vient de loin, plus on temporise, alors même que l’arrivée est au 1er poteau !

Cela étant dit, Mqse de Sevigné, sur un terrain à 3,6, réalise le meilleur temps dans les derniers 400 mètres et les derniers 600 mètres. Les plus rapides de ces cinq dernières années (depuis que les relevés tracking sont disponibles) sont à mettre à l’actif de Skaletti, vainqueur en 2021 sur une piste à 3,3 en 1’53’’57, soit 1’12 plus vite que la dernière lauréate, et leurs parcours se comparent ainsi :

Compte tenu des différences de terrain, on peut considérer que ces temps sont très proches, à l’exception du tronçon 4, des 600 aux 400 mètres, que Skaletti, qui revenait d’un peu plus loin, a bouclé en 11’’ au lieu de 11’’5 pour la jument, soit une réduction kilométrique de 55’’0 (65,5km/h) contre 57’’5 (62,6km/h). Mqse de Sevigné est allée plus vite — à peine — que son rival dans le Tronçon 2, les 1 000 aux 800 mètres, c’est-à-dire en bas de la descente. Nulle part ailleurs.

Il faut rappeler que lorsque Skaletti avait gagné. Ils étaient seulement six, mais le leader Écrivain était très allant et il avait emmené tout le monde à bonne allure avant de céder pour finir 6e et dernier.

L’ennui avec les courses françaises, c’est qu’elles ne sont pas toujours très sélectives en début de parcours, sauf exception comme l’Ispahan 21, la présence d’un fort contingent étranger ou un duel entre des leaders.

Pour mieux jauger les performances à l’aide des relevés, il faut aussi une grande quantité d’informations comparables, selon les circonstances, pour pouvoir établir des temps standards et les visualiser convenablement. Une donnée sans contexte n’est pas souvent instructive.

Mais enfin, la performance de Skaletti était exceptionnelle dans la mesure où le cheval qui portait alors les couleurs de Jean-Claude Séroul a fait afficher trois fois moins de 11’’ sur les dernières portions d’un parcours, ce que Mqse de Sevigné a pu faire sur deux portions, ce qui est déjà excellent.

Relevons aussi la bonne prestation de Haya Zark sur un terrain seulement souple, et la pugnacité qui lui a permis de reprendre la 3e place après l’avoir momentanément perdue. Toutefois, la meilleure fraction de la course est à mettre à l’actif d’Horizon Doré, avec 10’’53 sur l’avant-dernière section de 200 mètres. La course d’attente trop prolongée condamne à l’exploit. Si la vitesse use plus que la tenue, ce n’est peut-être pas la tactique la plus adaptée à une carrière longe, comme le prouvent ces formidables front-runners des courses de tenue outre-Manche, et Haya Zark aujourd’hui. Sa fraction la meilleure de l’élève d’Odtte Fau, c’est d’ailleurs celle de ses premiers 850 mètres !

Sevenna’s Knight, l’autre candidat à l’Arc du jour

Les entourages de deux gagnants dimanche envisagent une candidature dans le Qatar Prix de l’Arc de Triomphe, en octobre : celui de Mqse de Sevigné après son « Ispahan » sur 1 850m, et celui de Sevenna’s Knight, qui s’est imposé sur les 3 100 mètres du Prix Vicomtesse Vigier (Gr2). Soit une jument capable de gagner sur le mile et un stayer en devenir !

En règle générale, on a tendance à préférer les chevaux dotés de davantage de vitesse, plus polyvalents et plus adroits, mais aussi plus susceptibles de trouver une réserve de tenue quand les autres ne peuvent simplement atteindre les mêmes vitesses.

Chez les femelles de 5 ans, comme Mqse de Sevigné, deux noms reviennent parmi les lauréates de l’Arc : Corrida en 1937 et Alpinista, il y a deux ans. Chez les stayers, on note la 2e place de Westerner en 2005 et la victoire de Levmoss en 1969, après avoir gagné le Cadran et la Gold Cup cette année-là, mais aussi le Royal-Oak un an plus tôt. Ce sont deux stayers différents, et tous deux exceptionnels. 2e de l’Arc, Gold River aussi avait réussi sur les longues distances avant de prendre la 2e place de l’Arc, mais elle avait montré des valeurs sur 2 400 mètres.

Alpinista était une vraie jument de 2 400m, même si elle a couru en début d’année de 3 ans sur 2 000 mètres. Corrida était un phénomène, et elle avait déjà gagné l’Arc un an plus tôt.

Le profil de Mqse de Sevigné est encore différent de ces juments-là. C’est donc un parcours un peu inédit.

Sevenna’s Knight a-t-il fini d’étonner ? Ses temps de dimanche sont bien meilleurs que ceux du « Barbeville », sur 100 mètres de moins mais dans un terrain à 4,1 et non 3,6 séchant. Shembala est allé plus vite que lui des 400 aux 200m, dans le « Vicomtesse Vigier », mais la messe était dite, et elle a concédé 16 centièmes dans la dernière portion après avoir fait enregistrer des fractions très similaires à celles de Sevenna’s Knight.

L’impression visuelle, cependant, reste bonne et comme le cheval progresse, il peut sans doute encore faire sensation, mais rien ne permet de dire aujourd’hui qu’il a l’étoffe d’une Gold River ou d’un Westerner. Sa candidature au Grand Prix de Saint-Cloud est une bonne nouvelle, car un test réussi sur 2 400m à ce niveau le mettrait sur une autre planète.

Les classiques des 3ans sur la distance ne sont pas encore courus et déjà, on en est à l’Arc !

Emmanuel Roussel